Rencontre d'un soir [RP PV entre Ann et Toby]

Vous voyez la fine silhouette accoudée au bar, dans l’ombre, derrière l’homme avachi dans sa bière ? Celle avec les longs cheveux bruns détachés, les lèvres rouges vermeil et le verre de vin blanc dans la main. Oui celle-là, que beaucoup d’hommes scrutent de la tête au pied, en robe noire et talons hauts. Et bien cette silhouette, c’est Ann Czajkowski. Et Ann Czajkowski n’est pas ravie d’être là. L’œil fauve, le regard perçant, la bouche dédaigneuse, elle vous défie de l’approcher. Elle n’est déjà pas très avenante lorsqu’elle est sobre mais il faut dire qu’à cette heure avancée de la soirée, avec quelques verres de vin déjà consommés, son état d’ébriété la rend encore plus inaccessible. N’exagérons rien, la belle brune n’est pas totalement saoule, jamais elle n’oserait boire jusqu’à perdre le contrôle de la situation. Elle est simplement éméchée. Non pas qu’elle ait l’alcool spécialement violent, mais ce vin lui fait un peu tourner la tête et la rend sarcastique, piquante, presque blessante.


Quelques heures plus tôt


- T’as vraiment l’art de te pointer n’importe quand toi !

Une fois n’est pas coutume, Jakob, le frère jumeau d’Ann, était entré dans son appartement sans frapper au moment le moins opportun. Alors qu’elle croulait sous les papiers, les mains pleines d’encre noire et les cheveux en bataille, il venait lui proposer une sortie. Une soirée, une petite fête avait-il dit. Comme si Ann Czajkowski avait l’habitude de se rendre à des petites fêtes.

- On a plus 20 ans Jakob, c’est pas parce que c’est bientôt le weekend que je peux me permettre d’aller faire la java jusque pas d’heure ! J’ai un boulot monstre, il faut que je retranscrive l’interview du directeur, que j’écrive l’article sur la rentrée, que je contacte ..

- Mais Anni, ça fait combien de temps que t’es pas sortie de ce trou à rat ? L’interrompit son frère. Enfin j’ai rien contre ton appart mais tu vis en ermite ici depuis des mois. Il fait encore chaud, tu as des bars en bas de la rue, avec de la bonne musique et de l’alcool délicieux, que demande le peuple !

- Le peuple demande du sommeil Jakob, du sommeil. Avec mes 3h par nuit je vais pas tenir l’alcool longtemps moi …

- Ça veut dire que t’accepte de venir ? dit-il, tout en joie.

- Seulement si tu m’abandonnes pas comme une pauvre fille au bar pendant que t’es avec tes potes.

- Si c’est ta seule condition je ..

- .. Et aussi que tu n’essayes pas de me caser avec l’un de tes amis bizarres. Et pas question que je mette un décolleté !

- C’est d’accord, mais changes toi quand même parce que là … dit-il finalement en la regardant comme si elle sortait des tranchées.

Il est vrai qu’elle faisait peine à voir. Mais en quelques minutes elle était ressortie de la chambre, parée, coiffée et le tout sans frivolité. En passant le pas de la porte elle regrettait déjà d’avoir accepté. En bas de son immeuble elle voulait remonter pour s’allonger sur son sofa et n’en plus bouger. Et une fois à l’entrée du bar, son appréhension s’évanouit pour faire apparaître un petit sourire en coin sur ses lèvres maquillées.


Et maintenant, elle regrettait plus que jamais d’avoir fait confiance à son frère. Comme à son habitude il l’avait abandonnée « juste cinq minutes » pour aller voir on-ne-sait-qui on-ne-sait-où. Et comme à son habitude il n’était pas revenu depuis une heure. Sauf qu’il avait les clés de son appartement dans sa poche de veste, et qu’il était bien entendu parti avec sa veste sur le dos. Condamnée à l’attendre, Ann tentait donc de faire la seule chose amusante qu’il lui restait à faire dans un bar : tester tous les vins et jauger tous les hommes. Les premiers lui plaisaient beaucoup, mais on ne pouvait pas en dire autant des deuxièmes.

Elle n’avait jamais vraiment cherché une relation, et encore moins l’amour. Mais quitte à vouloir échapper un peu à la sphère professionnelle le temps d’une soirée, autant en profiter pour déroger à ses habitudes. Elle avait 38 ans et en faisait 10 de moins, et n’était allée chez aucun homme depuis plus de trois ans maintenant. A part chez son frère bien entendu – et encore, étant donné le taudis dans lequel il vivait. En toute décence, elle pouvait donc bien s’offrir le plaisir d’un flirt, et rien ne l’empêchait, si les choses allaient plus loin, de s’enfuir en douce le lendemain matin et de ne laisser aucune nouvelle. S’il y a bien un domaine où Ann pouvait être plus cruelle encore que partout ailleurs, c’était en amour.

Oui mais voilà, aucun homme qui ne lui plaise à l’horizon. Tous plus empotés les uns que les autres, déjà saouls au bout de deux bières, ou bien trop gros, ou bien trop petit, ou bien trop laid. Celui-ci avait un nez qui prenait la moitié de son visage, celui-là portait des sandales – tenez-vous bien ! – avec des C-H-A-U-S-S-E-T-T-E-S. Bref, en plus de se retrouver sans son frère et sans domicile pour la nuit, elle se retrouvait sans aucune source de plaisir visuel dans son champ de vision.

Mission finie. Les Aurors avaient fouillé un secteur à la recherche de malfaiteurs. En plus de la guerre entre le bien et le mal qui faisait rage, il y avait un nombre impressionnant de sorciers isolés voulant se faire remarquer. Brûler des maisons, prendre en otage des gens, c'était leur passion et leur seule et unique occupation. Une pâle imitation de ce que faisait l'Armée des Ténèbres.

Toby souffla. Ca avait été une mission de routine et pourtant, elle avait été très éreintante. Il n'était même pas passé au QG de l'Ordre par la suite pour faire son bilan hebdomadaire. De toute façon, un rapport de plus ne changerait rien au fait : il fallait les combattre, les traquer, les exterminer. Le trentenaire était remonté contre ses personnes qui avaient tué son frère. Thomas... Il ne devait pas se laisser atteindre par ses sentiments. C'était une mauvaise chose.

Il rentra dans son appartement et fila prendre une douche. Après en être sorti, il enfila un costume moldu qui lui allait parfaitement bien. C'était son préféré. Du moins, s'il en avait un. Il descendit les marches de l'escalier quatre à quatre prêt à se rendre au Bar'Rock. Un de ses amis lui avait donné rendez-vous là-bas. Toby était bien décidé à faire la fête après cette journée fatigante.

Avec un peu de retard, il arriva à l'endroit voulu et poussa la porte du bâtiment. Il y avait beaucoup de monde mais il se fraya vite un passage jusqu'au bar. Il commanda une bière – la meilleure boisson au monde selon lui – et s'assit. Il observa les environs. Son ami n'était pas là. Néanmoins, Toby n'avait pas besoin de lui pour passer une bonne soirée. A sa gauche se trouvait une femme très ravissante vêtue d'une robe noire. L'auror tiqua. Il ne l'avait jamais aperçue auparavant. Il s'en serait rendu compte si une dame comme elle s'était rendue dans son bar préféré.

Il se décala alors d'un tabouret pour se retrouver juste à côté d'elle. Elle avait quasiment fini son verre de vin. Employant une technique de drague bien connue de tous les hommes, il proposa :

- Puis-je vous offrir la même chose ?

Il fit signe au barman qu'il connaissait bien d'apporter à la jeune femme la même boisson.

Il avait encore utilisé la façon la plus banale pour aborder une fille. Elle allait sûrement le trouver ridicule, insignifiant. Toby n'essuyait pas souvent de refus mais là il le sentait arriver. Il porta donc son attention sur son carnet de nouvelles qu'il avait emmené avec lui. Ayant déjà fini sa première bière, il en demanda une deuxième et relut son dernier écrit. Il était à peaufiner mais c'était celui dont il était le plus content.

Finissant de siroter son verre de vin d'un air profondément lassé, Ann vit arriver vers elle un spécimen qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion de détailler. Tentative d'approche banale, mais dégaine séduisante. Cheveux bruns, jolis yeux, sourire en coin. On devine un semblant de musculature sous un costume apprêté. Se pourrait-il que l'unique bel homme de cette soirée soit venu s'asseoir à côté d'elle sans même qu'elle ait besoin de claquer des doigts ? Remarquant cependant sa cravate mal nouée et sa bière à la main, Ann fit une légère moue déçue. Personne n'est parfait ... Elle accepta son offre sans dire un mot, se contentant d'un sourire dédaigneux. Après tout, elle n'avait rien d'autre à faire que passer le temps en buvant, alors si elle pouvait profiter de se faire offrir un verre. On ne refuse pas ces choses là à un beau brun, même s'il a une chope de bière à la main.

Après l'avoir donc détaillé de la tête au pied sans prendre la peine de le remercier pour le nouveau verre de vin qui venait de lui être servi, elle s'exclama d'une voix provocatrice :

- On trinque à quoi ?

Ce qu'il allait répondre déterminerait certainement la suite de la conversation et l'intérêt qu'Ann lui porterait. Elle ne supportait pas les hommes sans répartie, qui bafouilleraient un "Euh .. je sais pas, à quoi veux-tu qu'on trinque ?". Une chose est sûre : elle ne rendait pas la tâche facile à qui voulait l'approcher. Et ça l'amusait beaucoup à vrai dire. Mais tout occupé qu'il était à relire des lignes griffonnées sur un petit carnet sorti de sa veste, il délaissait sa bière et la conversation. En haussant un sourcil, Ann ajouta :

- Vous buvez ou vous lisez alors ?

La fin était à modifier. Trop banale. Rien qui ne sorte de l'ordinaire. Il lui fallait une chute plus étonnante. Quelque chose de spécial. Il réfléchit alors à ce qui pourrait plaire le plus et qui soit choquant à la fois. Pas de fin amoureuse : trop classique. La mort d'un des personnages ? Peut-être, tout dépendait de comment elle était orchestrée. Pendant qu'il réfléchissait à tout ça, la belle femme lui posa deux questions. La réponse à la première lui semblait évidente. La deuxième était quelque peu... idiote.

- A l'alcool, bien sûr !

Il leva son verre et trinqua. Puis il agita son stylo devant les yeux de la brune.

- Vous avez l'habitude de lire avec un crayon vous ? Personnellement, ça me sert d'outil pour écrire... lança-t-il d'un ton sarcastique.

Puis il lâcha son plus beau sourire qui avait l'habitude de faire des ravages chez les femmes. Il était parti pour la séduire. Il avait besoin de compagnie en ce moment. Et ça n'était pas son ami absent qui allait satisfaire ses besoins de sociabilité.

Tandis qu'il buvait une gorgée, il observa la salle. Il y avait encore plus de monde qu'à son arrivée. Mais son pote n'était toujours pas là. Il lui passerait un savon la prochaine fois qu'ils se verraient. Enfin, s'il avait de la chance, il passerait peut-être une bonne soirée.

Il concentra son attention sur sa voisine. Il allait lui épargner les sempiternels "Que fait une aussi jolie femme que vous dans cet endroit ?". Ca c'était la séduction pour les nuls. Il préférait déjà en apprendre un peu plus sur son identité.

- Aurais-je la possibilité de connaitre votre nom ?

Si elle était joueuse, elle lui répondrait sûrement que ça n'était pas possible. Puis elle finirait par craquer. Normalement.

Trinquer à l'alcool, en voilà une raison bien singulière de boire avec un inconnu dans un bar. Ann avala de longues gorgées. Boire pour le simple plaisir de boire. Ça lui plaisait bien. Le sarcasme du jeune homme la fit sourire également. Il n'était pas de ces lourdauds qui draguaient dépourvu de subtilité et de mystère. Sans le lâcher des yeux, elle bu à nouveau, et vidait son verre bien plus vite que lui, d'un air de défi. Son regard était pour le moins déstabilisant, sombre et pétillant à la fois. Il ne trahissait rien ni de ses intentions ni de son avis sur l'inconnu. Il lui sourit, d'un sourire de publicité pour dentifrice, en croyant la faire tomber comme une mouche. Raté mon bel ami, il va te falloir un peu plus que ça pour me séduire, pensa-t-elle d'un air moqueur.

Il finit par lui demander son nom, comme elle se doutait qu'il le ferait à un moment ou à un autre. Quelque chose dans son air insolent laissait supposer à Ann qu'il savait qu'elle ne répondrait pas tout de suite. C'était un jeu de pensée, un jeu de séduction en somme. L'un anticipait les réponses de l'autre, qui essayait de lire dans l'esprit du premier. La brune aimait à avoir un temps d'avance à ce genre de petit jeu, plus par fierté que par sécurité. Si elle ne répondait pas son prénom de suite, il n'en serait que plus satisfait quand elle craquerait. Ils ne pouvaient cependant pas décemment continuer une conversation sans s'être présentés ... à moins que.

- Si je vous disais Mary, cela vous satisferait-il ? demanda-t-elle l'air narquois.

Elle avait volontairement choisit un prénom trop répandu, un prénom anglais on-ne-peut-plus classique. Elle n'avait pas du tout une tête à s'appeler Mary, mais l'idée la distrayait beaucoup. Pourquoi ne pas s'inventer une identité, une autre vie, et on verrait lequel des deux en devinerait le plus sur l'autre. Tout se jouerait totalement au faciès, au physique. Mais ça ne rendait le jeu que plus amusant encore.

Même si elle n'en montrait rien, Ann était profondément satisfaite de la tournure que prenait cette soirée. Elle détestait toujours son frère pour l'avoir délaissée mais les dernières gorgées de vin la rendait plus frivole, plus caustique également. Et cette rencontre mettait un peu de piment dans cette petite fête. Sans savoir où cela allait bien pouvoir la mener, elle était déterminée à tester les limites du jeune homme, à aller jusqu'au bout s'il le fallait. Jusqu'au bout de quoi ? De la nuit, de la rue, ou bien des ses rêves, qui sait ?

- Si je vous disais Mary, cela vous satisferait-il ?

Pas le moins du monde. Elle n'allait pas le berner ainsi. Elle croyait être plus maligne que lui - et c'était peut-être le cas - mais il n'avait pas le cerveau d'un botruc non plus. Il ne savait pas si le mieux était de rentrer dans son jeu et de l'écouter déblatérer des mensonges sur son "identité" pendant toute la soirée et la laisser croire qu'il était idiot ou bien de lui montrer sa méfiance et lui offrir une chance de se rattraper. Après quelques instants de réflexion, il opta pour la seconde option. Il ne voulait pas passer pour un débile. C'était son image qui était en jeu après tout.

- Je pense qu'une autre réponse me satisferait plus, en vérité.

Peut-être que parfois certaines personnes tombaient dans son piège mais ça n'allait pas être le cas de Toby ce soir.

Il finit sa deuxième bière et décida de passer à quelque chose de plus corsé. Il était censé être de congé le lendemain à part s'il y avait une urgence. Il n'avait plus qu'à prier pour que le monde se tienne calme un jour.

- Barman, mets-moi un whisky pur... euh un wkisky s'il te plait !

Il avait failli faire une gaffe de sorcier débutant dans le monde moldu. Avec la bière et la bièraubeurre, il n'avait pas trop de mal mais avec le whisky il avait plus de difficultés.

Il posa ses yeux sur son carnet qu'il n'avait pas encore rangé. Il avait agrandi sa poche de pantalon exprès pour ça. Il le glissa discrètement dans sa cachette secrète et but une gorgée de l'alcool fort pour ne pas paraitre suspect.

- Bon alors, vous me dites la vérité ?

Etrangement, Toby commençait à s'impatienter. Ca n'était pas difficile de dire son nom après tout ! Pourtant il ne laissait rien montrer de empressement. Toujours soigner son image.

Ann aimait la prise d'initiative. Passer au whisky, c'était un bon indicateur, à son humble avis. Quant à savoir pourquoi, c'était une autre histoire. D'une manière assez inexplicable, elle aimait les hommes qui buvaient de l'alcool fort, c'est ce qui dénotait justement d'une capacité de prise d'initiative. Elle ne saurait justifier cette affirmation légèrement fallacieuse mais après tout, elle avait bu, ses pensées avaient bien le droit d'être un peu ... confuses.

Elle ne devait cependant pas le laisser paraître dans ses mots. Ne répondant pas à la dernière question, elle lui demanda curieusement :

- Vous le préférez dilué ?

Elle parvenait bien à se passer de son prénom pour discuter, pourquoi ne pouvait-il pas en faire autant ?
Sans lui demander son autorisation, Ann s'empara de son verre pour en boire une gorgée à son tour. La chaleur qui se diffusa immédiatement dans tout son corps ne laissait pourtant pas de place au doute : il était bien pur ce whisky. Serait-ce le barman qui s'était trompé ? Ou alors ...

Sa pensée ne fit qu'un tour dans sa tête, avant de lui provoquer une illumination soudaine. Se pourrait-il que Monsieur soit ... ? Non ?! A moins que .. ? La probabilité est tout de même faible. Quoi que, dans Londres ... Laissant un instant de côté son petit jeu d'identité, elle s'approcha pour lui parler à voix basse.

- Ou vous le préférez pur-feu, peut-être ? dit-elle malicieusement.

Même si l'indice était minime, Ann était presque sûre d'avoir tapé juste. Si ce n'était pas le cas elle passerait pour une illuminée, mais peu importe. Maintenant qu'elle y réfléchissait, tout concordait. Son air confiant, son costard, son petit carnet qu'il arrivait à ranger en entier dans une poche de son pantalon. Pas de doute, cet homme-là n'était pas un moldu. Et pour dire vrai, ça ne faisait que lui donner plus de charme encore. Ann n'était pas spécialement élitiste et ne sélectionnait pas une conquête parce qu'il était sorcier, mais elle devait bien admettre que cet aspect rendait la séduction plus intéressante, presque plus valorisante.

Se flattant de l'avoir deviné la première, elle s'adressa à son tour au barman.

- C'est vrai qu'il n'est pas mauvais ce whisky pur, dit-elle en insistant délibérément sur le dernier mot. Je prendrai la même chose !

Toby vit son verre passer devant ses yeux et soupira. La femme n'était pas sans gêne. Et pour l'instant, dans ses pensées, il l'appellerait "Mary" puisqu'il n'avait aucune autre indication. Avant de récupérer son whisky, il sentit la dame se rapprocher de lui et lui chuchoter à l'oreille :

- Ou vous le préférez pur-feu, peut-être ?

L'information ne fit qu'un tour dans son cerveau, il se retourna instantanément vers sa voisine et prit un air surpris. Se pourrait-il que... ? Oui c'était sûr ! Il sourit. La soirée devenait encore plus intéressante et il espérait que "Mary" le pensait aussi. D'ailleurs-celle-ci commanda la même chose. Toby prit un air satisfait.

- Alors comme ça, vous en êtes, hein ? Trinquons à notre condition alors ! s'exclama-t-il.

Puis plus bas, se penchant vers la jeune femme, il reprit :

- Non pas que je n'aime pas les moldus mais c'est toujours une agréable surprise de croiser des sorciers par ici...

Il se posa alors une question. Etait-elle dans le bon camp ? Dans le camp du bien ? Il espérait que oui, il n'aimerait pas sympathiser avec l'ennemi, avec l'une de ceux qui avaient tué son frère. Il secoua la tête. C'était peu probable que ce soit le cas. L'Armée des Ténèbres détestaient les moldus.

Il l'observa un instant. Elle ne lui disait vraiment rien. Pas une auror. Pas une membre de l'Ordre. Peut-être travaillait-elle au Ministère ? Il y avait beaucoup de monde qui était employé là-bas. Elle ne tenait pas non plus une boutique du Chemin de Traverse, il l'aurait su. Une joueuse de quidditch ? Il l'aurait reconnu. Il ne restait plus vraiment de possibilités. Journaliste ? Ou fabricante particulière ? En réalité, il hésitait entre employée du ministère et reporter. Il lui en demanda la réponse, histoire d'assouvir sa curiosité.

- Journaliste ? Ministère ?

Dans le mille ! La soirée allait devenir bien plus intéressante. "Non pas que je n'aime pas les moldus", bah bien sur. On dirait une phrase toute droit sortie de la bouche de la grand-mère Finley. "Tenez, par exemple, mon boucher est moldu et fait de la très bonne viande. Ce n'est donc pas que je n'aime pas les moldus, c'est simplement qu'ils ne sont pas comme nous, enfin il faut le dire aussi ...". Ann se marrait intérieurement en imaginant la vieille femme prononcer ces mots. Elle espérait cependant que le jeune homme n'était pas aussi conservateur, voire pas aussi stupide.
Qu'il soit dans les forces du mal ou du bien, peu lui importait. Ce n'est pas avec 2g d'alcool dans le sang que l'on réfléchissait à ces choses-là. Et puis, ça avait quelque chose d'excitant de vivre une aventure avec un meurtrier.

Ann se reprit. Elle divaguait. Qu'il soit content de rencontrer une compagnie sorcière dans ces lieux ne signifiait rien. Elle aussi trouvait la soirée plus agréable depuis qu'elle savait qu'il avait une baguette dans sa poche, ce n'est pas pour autant qu'elle était dans l'Armée des Ténèbres ou qu'elle partageait les opinions de Dvorah Finley.

- Si je vous disais mon métier vous devineriez mon nom ... Et inversement, lui répondit-elle.

La notoriété de la jeune femme se jouait en effet beaucoup plus sur son nom que sur son faciès. Il n'y avait pas sa photo accolée à chacun de ses articles, si bien que les sorciers qui n'étaient pas des habitués des interviews ou de la gazette ne la reconnaissaient pas dans la rue. Ce n'était pas pour lui déplaire d'ailleurs. Par contre, le nom d'Ann Czajkowski sonnait familièrement dans toutes les oreilles du pays.

Si elle lui avouait être journaliste, il ferait rapidement le rapprochement : il n'y avait pas beaucoup de jeune femme dans le milieu de la presse qui pouvait faire preuve d'une telle confiance en elle. Sa vie professionnelle florissante n'y était pas pour rien. Et si elle lui disait finalement s'appeler Ann, il devinerait aisément son métier. Son petit indice lui paraissait donc parfaitement judicieux, pour tester la vivacité d'esprit de son interlocuteur.

Une fois la phrase mystérieuse de "Mary" passée en revue dans le cerveau de Toby, il se mit à réfléchir à différentes possibilités. Si elle était employée du ministère et qu'elle lui disait, il ne pouvait pas deviner son nom. Il y en avait beaucoup trop. Par contre... si elle était journaliste, il pouvait avoir une idée de qui elle était. Il n'avait pas entendu parler de beaucoup de femmes reporters de son âge. En fait, il n'en "connaissait" qu'une. Un sourire se dessina sur son visage.

- Si je dis Ann Czajkowski, est-ce que j'ai le droit à un verre ?

S'il s'était trompé, il aurait l'air totalement ridicule. Il espérait donc avoir raison sur toute la ligne. Si ce n'était pas le cas, il finirait tout de même par trouver. Toby était quelqu'un de déterminé, qui parvenait souvent à ses fins. C'était difficile de le tourner de son but quand il était lancé. Mais pourtant, il était sûr à 99% qu'il avait vu juste. Par contre, pour le verre, il n'y croyait pas trop.

Il finit son whisky qu'il venait à peine de commencer et attendit la réponse de sa voisine. Peut-être que finalement, dans une once infime de bonté, elle lui offrirait le suivant.

Il observa la salle à nouveau. Derrière le bar, de nombreuses personnes dansaient sur un rock assez endiablé. Toby adorait ce genre de musique et il aimait danser, c'était comme libérateur pour lui. Il se leva et se tourna vers la jeune femme :

- Une danse, ça vous dit ?

Il avait su deviner sans trop de difficultés, ce qui laissa supposer à Ann qu'il était plus malin que ce qu'elle pouvait croire. Son sourire en coin montrait à l'autre qu'il avait vu juste, sans même qu'elle ait besoin de lui répondre. Pour le verre par contre, il repassera. Peut-être plus tard dans la soirée, dans un autre lieu, qui sait ...

- Non, mais vous avez le droit à une danse.

Répondant tout à la fois à ses deux questions, la brune prit les devants et l'entraîna sur la piste. Il fallait bien qu'elle eut bu pour se lancer de la sorte, car jamais au grand jamais elle ne danserait en public sans les effets de l'alcool. Depuis combien de temps n'avait-elle pas dansé d'ailleurs ? Des années lumières. Non pas qu'elle n'aimait pas ça, ou qu'elle se croyait piètre danseuse, loin de là. Elle avait le sens du rythme, et sans tenter des figures de rock acrobatique elle se débrouillait pour accorder ses quatre membres en harmonie. Les soirs d'été, quand ils étaient petits, son frère et elle s'amusaient à valser au son du phonographe du village, pour échapper à la monotonie, à la pauvreté, pour échapper au monde en quelque sorte. Ann avait gardé en elle ces doux souvenirs, et même si le rock n'avait rien d'une valse, il lui rappelait d'agréables vestiges de sa vie d'antan. Et ils étaient rares.

Se lançant donc, sans trop y réfléchir, elle s'était mise à bouger. Bien vite, elle sentit la main de Toby sur sa taille.

Ah oui.

Elle avait légèrement oublié ce détail. Le rock se dansait à deux. En tête à tête. Elle suivit la cadence, un peu surprise tout d'abord de ce contact. Elle restait de marbre, ses talons résonnaient sur le parquet de la piste et la foule autour s'écartait pour laisser danser les couples.

- Vous dansez bien, dit-elle, comme si elle fut étonnée des capacités du jeune homme.

Sa propre main posée sur son épaule, elle sentait sous sa paume la douceur du costume repassé, la fermeté des muscles encore dans la force de l'âge. A ce moment précis, tous ses sens étaient démultipliés. Elle humait l'odeur du whisky avalé la hâte ; entendait la musique plus forte, les basses plus puissantes ; elle avait dans la bouche les saveurs de l'alcool, un reste de vin fruité. Elle profitait de l'instant, ne sachant plus pourquoi elle dansait ni même avec qui. L'avait-elle jamais su ? Un inconnu voilà tout. Elle voulu soudain connaître son prénom. Savoir qui se cachait derrière ces manières et ces tentatives de séduction. Savoir qui était parvenu à la convaincre de danser, sans trop de mal d'ailleurs. Mais elle ne demanderait pas. Il finirait par le dire de lui-même, ou tout du moins elle le supposait. Ses yeux noirs de jais le fixaient, sondaient jusqu'au plus profond de son âme. Elle se laissait aller et pour la première fois depuis longtemps, elle perdait le contrôle absolu de la situation. Ses gestes étaient dictés par la musique, guidés par un autre. Et ça faisait du bien.

Ann Czajkowski ayant accepté son invitation qu'elle avait transformé en sienne, ils se lancèrent sur la piste. Toby se rapprocha de sa cavalière et la tint par la taille. Il la fit tourner sur elle-même plusieurs fois. Ils dansèrent pendant plusieurs minutes, chacun ne pensant plus à rien. Enfin, Toby songeait à une chose. La chance qu'il avait eu de croiser cette belle femme dans son bar préféré. En outre, elle s'était aussi intéressée à lui ce qui avait été plutôt inattendu. Et maintenant elle le complimentait sur sa danse. En réponse, Toby lui adressa un de ses plus beaux sourires et continua à la faire virevolter et à l'entrainer sur la piste.

Une bonne dizaine de minutes plus tard, ils furent interrompus par l'ami de Toby qui venait enfin d'arriver :

- Je suis désolé, j'ai été retenu au bureau ! Bon je te laisse du coup, je vois que tu es en très bonne compagnie.

- On se voit plus tard alors !

Interrompus dans leur rock, les deux danseurs retournèrent s'assoir à leur place initiale, qui par chance, n'avaient pas été choisies par d'autres clients.
Toby s'empressa de recommander deux whiskies auprès du barman. Il avait décidé d'être un parfait gentleman - ou du moins en faire l'essai.

- Désolé pour cette... hmm... interruption. Je devais voir Marcus à la base.

Autant être honnête plutôt que de prétendre qu'il n'était pas là pour une raison particulière. Après avoir obtenu leur verre, ils trinquèrent cette fois au rock.

Toby commençait à sentir l'alcool se répandre dans ses veines, il devenait plus lui-même. Son enveloppe se désagrégeait petit à petit. Elle laisserait bientôt place au vrai Toby. Et il n'aimerait pas ça. Pourtant, il ne pouvait perdre la face devant Ann en arrêtant de boire. Il allait donc devoir surveiller ses paroles.

Leur danse fut stoppée nette par un homme venu informer son partenaire d'un soir d'une futilité professionnelle. Alors qu'ils retournaient s'asseoir et que le beau brun lui expliquait qu'il s'agissait d'un ami à qui il avait initialement donné rendez-vous, Ann hésitait entre relever le "retenu au bureau" et le "bonne compagnie". Les deux méritaient une remarque, une petite pique, mais par où commencer ? Tout bien réfléchi, elle en savait assez peu de lui. Elle connaissait le nom de son ami et même pas le sien. Elle avait cependant tendance à aimer provoquer, et à se satisfaire de compliments détournés comme celui que le fameux Marcus venait de lui faire.

- En bonne compagnie, hein ? dit-elle en haussant un sourcil.

Il n'y avait pas de mal à ce qu'il les ait interrompus, la danse rapprochait les corps et qui sait où tout cela aurait pu les mener ? Ann perdait pied, se laissait trop aller. Elle avait maintenant retrouvé ses esprits et ne sombrerait plus au doux son de la musique. Elle hésita à prendre une gorgée d'alcool fort, mais puisque le jeune homme le lui offrait, elle ne se voyait pas refuser. D'autant plus qu'il ne cessait de boire, et elle ne voulait pas passer pour une petite nature.

- Deux questions : "au bureau" ça signifie employé du ministère ou auror ? Et deuxième question : est-ce-que vous pensez qu'il est normal que je connaisse le nom de votre ami avant même de connaître le votre ?

La première phrase longue qu'elle alignait depuis leur rencontre. Elle se montrait bavarde, il faut croire que l'alcool déliait les langues. La journaliste ne buvait désormais plus que pour le chic, elle n'avait ni soif ni envie de se saouler outre mesure. Et le whisky lui donnait un besoin fou de s'allumer une cigarette. Ce qu'elle fit. Une allumette grattée avec subtilité et la fumée s'échappait de ses lèvres, en un petit filet blanchâtre.

- Vous fumez ? dit-elle en lui tendant son paquet. D'accord ça fait trois questions, je vous laisse digérer le flux d'informations avant de continuer, plaisanta finalement la jeune femme, un poil moqueuse.

- Je vous laisse deviner, vous m'avez l'air maligne à ce petit jeu... lança-t-il avec un clin d'oeil.

Quant à son prénom, il pouvait lui révéler. Elle le tannerait toute la soirée dans le cas contraire. Et il connaissait le sien. Ca n'était que justice que de se présenter à son tour.

- Je suis Toby.

Puis il accepta une cigarette qu'elle lui tendait, sans préciser qu'il ne fumait qu'occasionnellement. Il l'alluma grâce aux allumettes de Ann et aspira. Ensuite, il but une gorgée de whisky. C'était une sorte de rituel chez lui.

Il reporta son attention sur la jeune femme qui semblait obnubilée par la clope qu'elle tenait entre les doigts. Il se demandait quels genres d'articles pouvait-elle rédiger. Il n'avait pas pour habitude de lire les journaux, que ce soit le plus connu ou une petite gazette.

- Vous avez souvent un thème particulier pour l'écriture de vos chroniques ?

Question sortant de l'ordinaire. Il n'aimait pas parler boulot en dehors du travail habituellement. Pourtant, son interrogation l'intéressait vraiment. Ca pouvait l'aider à cerner la journaliste qui se trouvait à ses côtés. Côté de la lumière ou des ténèbres ? Là était la principale chose qu'il se demandait et qui importait le plus.

Il n'allait donc pas lui répondre. Prise à son propre jeu, Ann sourit à la remarque. Elle l'avait bien cherché il faut dire, et le challenge ne lui déplaisait pas. A entendre sa question, elle se rappela à quel point elle aimait qu'on s'intéresse à elle, et à quel point être au centre des attentions lui avait manqué. Restée enfermée dans son appartement à travailler lui avait fait oublier ce à quoi pouvait ressembler l'intérêt d'un homme, et ce Toby lui redonnait le goût des rencontres. Elle fit mine de réfléchir un instant. Son air concentré était moitié simulé, moitié sincère. En réalité elle n'aimait pas se borner à un thème particulier, même si son service la restreignait bien évidemment aux faits politiques, elle sortait régulièrement des sentiers tout tracés pour dévier vers les faits divers. Sa particularité ? Polémiquer, créer le débat, le questionnement, la prise de conscience. Au-delà du thème, elle aimait les mots crus mais bien choisis, les phrases poétiques mais lourdes de sens.

- Théoriquement, je suis rédactrice en chef du service des faits politiques. Je dis bien, théoriquement ...

Elle laissa sa phrase en suspend, pour continuer après avoir soufflé doucement la fumée blanche qui lui réchauffait la gorge.

- En pratique, ce que j'aime, c'est surtout éveiller la conscience des gens, les faire se questionner, quitte à les choquer pour arriver à ce résultat. Tout en ne disant que la vérité, bien entendu. Et si ça doit sortir des simples faits politiques, alors je prend le risque de me faire remonter les bretelles par le patron.

Ayant le sentiment de s'être trop confiée quant à ses goûts et ses habitudes, Ann décida qu'il était grand temps de sonder plus profondément ce Toby. Il ne pouvait pas en savoir plus d'elle qu'elle n'en savait sur lui, c'était une règle simple qu'elle tenait pour vraie dans toutes ses relations. Elle lui avait montré qu'elle pouvait être loquace, à lui de faire de même.

- Je parie donc sur employé du ministère. Je me trompe ? demanda-t-elle, assez sûre d'elle.

Toby hocha la tête d'un air compréhensif tandis que la journaliste lui expliquait les grandes lignes de son boulot. Il fallait qu'il lise ses articles car elle ne donnait aucune information sur ce qu'elle pensait, elle, de la politique. Ses chroniques l'aideraient à y voir plus clair. Si ses souvenirs étaient bons, elle devait travailler pour le Hibou Voyageur. Mais rien n'était sûr. Toby ferait les recherches nécessaires.

Alors qu'il croyait que le mystère de son emploi était passé à la trappe, celui-ci refit surface aussi brusquement qu'un dragon atterrissant sur le sol. Quoiqu'il exagérait un peu. Mais il ne fut pas déçu par la suggestion quasiment certaine de Ann. Il ricana et lança :

- Je vous pensais meilleure détective ! Vous me décevez, Sherlock !

Toby était un grand fana des romans et nouvelles de Sir Arthur Conan Doyle. Sherlock Holmes était son personnage fictif préféré. L'auror avait beau être sorcier, il s'intéressait beaucoup à la littérature policière moldue. Les enquêtes pouvaient vraiment se révéler intéressantes. C'était d'ailleurs cet auteur qui l'avait poussé à rédiger à son tour quelques nouvelles, qui, bien évidemment, n'arrivaient pas à la cheville de celles de Conan Doyle.

A l'heure qu'il était, la rédactrice en chef avait sûrement du deviner qu'il était ni plus ni moins qu'un auror. Rien de bien glorieux si on n'était pas au courant des nouvelles. De plus en plus d'attaques, répétées aux quatre coins du Royaume-Uni. Sans oublier sa double couverture. Quelle idée avait eu le ministre de punir l'Ordre du Phénix. Sans cette organisation, l'Armée des Ténèbres aurait pris depuis bien longtemps le pouvoir au Ministère. Mais bien sûr, ces informations n'étaient pas divulguées pour le plus grand "bien" de tous. Toby but machinalement une gorgée de l'alcool fort qui remplissait son verre et revint à la réalité. Il s'était laissé emporté dans ses pensées. Pour ne pas perdre sa voisine, il demanda :

- Vous connaissez Sherlock j'espère ?

A le voir à l'écoute, Ann se sentit valorisée. Il avait cet air concerné qui donnait l'impression d'un honnête homme, d'un homme capable de maturité et de compréhension. Ce qui était plutôt rare à vrai dire. Mais la journaliste ne tirait pas de jugements hâtifs, elle ne tenait pas à lui attribuer des qualités qu'il ne possédait qu'en apparence. Il lui faudrait des preuves, autrement dit des actes.

S'étant trompée sur son métier, elle se renfrogna. Elle s'était montrée sotte, il avait les épaules trop larges, trop développées pour être un simple employé de bureau. Il avait eu un entraînement physique et se rendait sur le terrain, c'était évident. Quant à son humour douteux, il l'avait très certainement hérité de ses collègues. Ann avait toujours eu cette impression des aurors : ils se font passer pour des petits rigolos pour faire oublier que le monde ne l'est pas. Et ils se pensent souvent plus cultivé que les autres. Plutôt que de répondre à la remarque, Ann riposta :

- J'aurais préféré que vous me compariez à Miss Marple.

Bien qu'elle se rapprochait bien plus de Sherlock, par son égocentrisme et sa confiance en elle, elle vouait au personnage d'Agatha Christie une certaine admiration.

Aurait-il osé la prendre pour une inculte ? Bien entendu qu'elle connaissait Sherlock et Conan Doyle, tout comme elle connaissait Shakespeare, Dickens, Brontë et Stevenson. Elle avait passé en revue tous les romans moldus de la bibliothèque de Poudlard pendant ses années d'écolière, et avait dévalisé les librairies de Londres lors des premières années de son installation. Mais où était passé ce goût pour la littérature ? Elle qui aimait tant les livres d'Europe de l'est, les poètes français. Elle se fit la remarque intérieurement et se promis de remédier à ce manque, qu'elle ne venait de réaliser qu'à l'instant.

- Vous connaissez Miss Marple j'espère ? fit-elle en l'imitant insolemment. Monsieur l'auror écrivain à mi-temps aurait-il osé douter de ma culture ?

Ann était humaine et malgré la confiance qu'elle avait en ses capacités, il lui arrivait de douter de beaucoup de choses. De son charme, de son physique, de son humour, de sa rigueur ... Elle ne le montrait jamais, évidemment. Mais s'il y a bien une chose dont elle ne doutait pas, c'était de sa vivacité d'esprit. Et autant dire qu'elle n'aimait pas que d'autres en doutent non plus.

- Qu'est-ce-que vous écrivez ? demanda-t-elle finalement, en laissant de côté son impression qu'il ait pu la prendre pour une imbécile née de la dernière pluie.

- Evidemment que je connais Miss Marple ! Est-ce que je vous pose des questions de ce genre, moi ?!

Il ajouta ceci avec un rire qui voulait tout dire. Elle devait avoir mal pris qu'il ait douté de sa culture. Mais en même temps, il n'était pas sûr qu'une sorcière connaisse des romans moldus. En tout cas, elle avait bon goût.

- Qu'est-ce-que vous écrivez ?

Toby hésita un instant. Etait-ce une bonne idée de lui montrer ses écrits ? Après tout, jamais personne d'autre que lui ne les avait lus. Il craignait un peu la réaction des gens en réalité. Peur qu'ils n'apprécient pas. Et qu'il s'en soucie trop et décide d'arrêter. Ecrire était pour lui une échappée au monde réel. Il ne voulait pas qu'on lui enlève ça. Après un temps de réflexion, il finit par lui tendre tout en annonçant :

- Rien que des nouvelles pas très palpitantes à mon humble avis...

Il retourna à son verre de whisky tandis que Ann feuilletait le carnet. Si elle lisait tout, ils seraient encore là à trois heures du matin. Et c'était sans compter ses autres calepins remplis eux aussi de lignes écrites à l'encre noire.

Curieux de savoir si la journaliste avait elle aussi comme passe-temps l'écriture, - hormis son travail bien sûr - il lui posa la question :

- Vous écrivez aussi ? En dehors de votre boulot évidemment.

Ce Toby ne connaissait donc pas qu'Arthur Conan Doyle. Enfin, si sa culture se limitait aux romans policiers, Ann serait vite déçue. Mais étrangement, elle plaçait une certaine confiance dans les goûts du brave homme. Il avait choisi de lui offrir un verre à elle après tout, en voilà un symbole de bon goût. Partiellement étonnée qu'il lui tende son carnet avec un air aussi humble, Ann l'ouvrit à une page au hasard. A sa place, elle n'aurait jamais fait lire ce genre de choses à quelqu'un rencontré quelques heures auparavant. Était-ce l'alcool, ou une envie soudaine qu'il allait regretter ? Quoi qu'il en soit, la journaliste comptait bien en profiter pour sonder le style littéraire de son interlocuteur. Une petite écriture saccadée mais arrondie, qu'est-ce-que ça signifiait sur son interlocuteur ? Un homme appliqué en toutes circonstances. Les phrases étaient jolies, bien tournées. Elles permettaient à chaque mot de prendre tout son sens. Des sonorités agréables, et des pages et des pages griffonnées à l'encre synonymes d'une imagination féconde.

- Si je puis me permettre .. commença-t-elle en sachant pertinemment qu'elle allait se permettre, le style est original, fluide, un régal à lire. Vous avez la forme, mais le fond est trop simple. Votre nouvelle porte sur les enquêtes. Soit, thème basique. Et bien sortez des sentiers battus, ne vous placez pas du point de l'auror policier qui cherche à résoudre le mystère, explorez l’ambiguïté du criminel par exemple, initiez d'autres personnages, mettez vous dans la peau d'un tueur en série. Vos écrits n'en seront que plus palpitants.

Elle lui rendit son carnet. A vrai dire, elle aurait aimé pouvoir le garder pour en lire la suite. L'histoire lui plaisait, mais elle avait émis cette critique de façon totalement constructive et, pour une fois, désintéressée. Elle prit une gorgée de whisky à son tour.

- J'écris pour mon boulot, et c'est déjà beaucoup croyez-moi, fit-elle en se remémorant un instant que si elle n'avait pas accepté de sortir ce soir, elle serait à son bureau en train de faire une nuit blanche pour écrire un article. Je laisse la prose et le romantisme aux grands auteurs. J'aime les lire, pas les imiter.

Ce n'était pas faute d'avoir essayé pourtant. Etant petite elle rédigeait souvent des histoires elle aussi, inspirée de récits déjà lus et relus, de thématiques usées jusqu'à la moelle. L'avantage avec le journalisme, c'est que les sujets abondaient et n'étaient jamais les même. Elle admirait ces écrivains qui parvenaient à trouver l'idée, le filon. Cette originalité qui ferait d'eux les précurseurs d'un mouvement, les symboles d'un siècle. Mais elle ne s'en sentait pas capable.

Peut-être que ce jeune homme l'était, cependant. Qui sait ? Elle essayerait de relire ses écrits une fois sobre et pourrait mieux en juger.

Il était temps qu'elle cesse de l'appeler "ce Toby", "ce jeune homme". Le déterminant mettait une distance entre eux qu'elle se sentait de diminuer. Après tout, si elle comptait passer la nuit chez lui, il fallait aussi qu'elle se résolve à quelques concessions. Et puis, ça ne serait pas une nuit de perdue. Tout du moins l'espérait-elle.
Avant qu'elle ait le temps d'ajouter quelque chose, un homme un peu bourru et très certainement bourré vacilla vers elle et renversa au passage quelques gouttes de bière sur sa robe. Prenant une mine outrée, Ann leva les yeux au ciel et s'essuya finalement avec la serviette que le barman avait laissée là. Agacée par ce genre de comportement, elle remercia intérieurement le hasard d'avoir voulu qu'elle rencontre Toby. Si elle avait été seule à supporter ce genre d'individus tout autour d'elle, elle aurait fini par exploser.

- Vous voulez que je vous dise Toby ? Vous êtes officiellement l'homme le plus galant et distingué de ce bar, lui dit-elle, d'un ton agacé.

Ça n'était pas bien difficile en même temps, au vu de tous les ivrognes accoudés du Jukebox jusqu'aux tables hautes. Sortir en semaine avait ses inconvénients...

Après avoir lu quelques pages, Ann prit le temps de lui donner des conseils. Il les écouta avec attention. Après tout, elle était journaliste. Il pouvait lui faire un minimum confiance pour ça. Il essaierait donc pour la prochaine nouvelle de la rédiger du point de vue de l'assassin. Ca pouvait être intéressant et original. Mais il savait d'avance que ça lui prendrait plus de temps. Il aurait plus de mal. C'était comme s'il se mettait à la place d'un mangemort. Presque à la place de celui qui avait tué son frère... Il chassa ses idées noires. Il y repenserait plus tard, au moment venu.

Cependant, il tiqua à la remarque suivante de la femme. Pour elle, il imitait donc les grands auteurs ? Cela le vexait un tant soit peu. Il l'avait prédit de toute manière. Et puis, qu'attendait-il au juste ? Qu'elle lui fasse des éloges ? Ca n'était pas avec ses nouvelles qu'elle le ferait.

Pendant sa réflexion, un homme bourré renversa de la bière sur la journaliste.

** Quel gâchis... ** pensa Toby en secouant la tête.

Les gens ne savaient pas boire avec élégance, ils ne savaient jamais se contrôler. Enfin, quand on était ivre, c'était un peu difficile en soi. Mais il fallait faire un minimum d'efforts. Il hésita à lancer un Recurvite sur la belle robe mais se rétracta. Il y avait beaucoup trop de moldus pour que ça passe inaperçu. Il ne voulait pas être puni pour un simple sortilège.

- Vous voulez que je vous dise Toby ? Vous êtes officiellement l'homme le plus galant et distingué de ce bar.

L'auror ricana. Ca n'était pas bien difficile avec tous ces hommes souls. Elle ne lui apprenait pas grand chose en lui disant cela et ça ne l'affecta pas du tout. Elle, cependant, était la plus séduisante et ravissante femme du bar. Et Merlin sait qu'il y avait d'autres jolies jeunes femmes qui n'attendaient que d'être abordées par des hommes tel que Toby. Il décida pourtant de garder cette réflexion pour lui. C'était trop facile de complimenter une dame ainsi. Il fallait une bonne raison. Et en l'occurence, il n'y en avait pas.

Le trentenaire observa la salle. Elle se remplissait de plus en plus. La majorité des personnes présentes étaient des hommes imbibés d'alcool. Le Bar'Rock n'avait pas cette réputation habituellement. Cela le décevait. Il en toucherait un mot au barman la prochaine fois.

- Vous voulez passer prendre un verre chez moi ? Ca commence à être mal fréquenté ici...

Toby espérait secrètement que Ann accepterait. Il ne voulait pas que la soirée s'arrête maintenant alors qu'elle se révélait intéressante.

Un léger air vexé sur le visage de Toby et quelques scrupules firent hésiter Ann lorsqu'il lui proposa de prendre un dernier verre chez lui. Ne répondant pas de suite, elle continua d'essuyer la bière renversée sur sa robe - qui d'ailleurs sentirait l'alcool à plein nez et serait bonne à jeter - en pesant les pour et les contre.

Pour : Elle avait attendu ça toute la soirée, car c'était le seul moyen pour elle de ne pas dormir à la rue. Elle voulait continuer de discuter avec lui dans un lieu plus tranquille. Elle n'avait pas sommeil. Si elle refusait, il serait peut-être encore plus vexé qu'après ses remarques sur l'écriture.

Contre : S'il apprenait la première raison des pour, il s'énerverait, et pour cause ... Et elle ne voulait pas passer pour une fille facile.

Mais, pour-bis : il savait de toute façon qu'elle n'en était pas une.

Ses pensées ne firent qu'un tour dans sa tête. Elle n'avait aucune envie de dormir dehors, ni de lui expliquer que son frère avait ses clés, sinon il prendrait pitié. De toute façon, il n'y avait pas de raison pour qu'il apprenne qu'elle l'avait un tout petit peu utilisé. D'autant plus qu'elle ne l'utilisait pas vraiment puisque ce n'est pas comme si elle ne souhaitait pas dormir chez lui. En temps normal, elle aurait simplement attendu le deuxième ou troisième rendez-vous.

- Seulement si vous avez du vin, répondit-elle finalement.

La plaisanterie passait toujours mieux que si elle avait accepté directement en hurlant un grand "oui" comme une gamine niaise devant une demande en mariage. Et comme toujours, il fallait savoir se faire désirer.

- Je suis un peu lassée du whisky, sans parler de cette odeur de bière, lâcha la journaliste en lançant un regard dégoûté à sa robe à peine sèche.

Toby fut ravi de voir que Ann acceptait sa proposition. Il fut moins content en l'entendant râler contre la bière. Pour lui, c'était le meilleur breuvage au monde et il ne comprenait absolument pas les gens qui le détestaient.

Il répondit que bien sûr il avait du vin et ils partirent en direction de son appartement qui se trouvait du côté magique de Londres. Ils avaient donc une trotte à faire mais cela ne dérangeait pas l'auror. Une fois seuls, il lança un Recurvite sur la robe de la journaliste qui sembla à nouveau comme neuve. Elle ne se malloterait plus sur l'homme qui lui avait fait ça par mégarde.

Durant la route, ils trouverait bien quelques sujets histoire de faire la conversation avant de pénétrer dans son logement.

Il espérait une seule chose : qu'elle ne rentre pas dans la chambre de son frère. Personne ne l'avait jamais fait et c'était très bien ainsi. Si par malheur cela arrivait il ne saurait absolument pas comment il réagirait.

Arrivés finalement au pas du bâtiment, le trentenaire ouvrit la porte et la mena par les escaliers à son appartement.